L'accident du 28 février 1954

Nous sommes à l’hiver 1954, une vague de froid s’abat sur la France.
Les températures oscillent entre 2°C et -20°C dans le Luchonnais.

Il est 17 heures, le dimanche 28 février se termine.
Après une magnifique journée ensoleillée, les nombreux visiteurs montés dans la journée
rejoignent le quai de la gare de la Crémaillère pour redescendre à Luchon.

Chaque Hiver la CHM recrute des saisonniers pour manœuvrer les aiguilles et perdre le moins de temps possible durant la haute saison.
Le reste de l’année, ce sont les serres frein ou les chefs de train qui s’occupent de cette tâche.

Comme tous les soir, le chef d’exploitation attend l’appel de Superbagnères afin de connaitre le nombre de trains à envoyer pour redescendre tous les passagers.

Mais ce soir là, l’appel se fait attendre.

Halte-évitement de Mi-Sahage,
à gauche la voie d’évitement, en face la voie principale.
Collection LEYMARIE | mars 1954

Il fait alors monter par prévoyance les deux trains restant à Luchon pour descendre le grand nombre de skieurs montés dans la journée.
Peu de temps après leur départ le chef de gare reçoit l’appel de Superbagnères pour le prévenir de n’envoyer qu’un seul train. Mais il est trop tard. Impossible de contacter les trains partis quelques minutes plus tôt.
Il appelle alors à Mi-Sahage pour prévenir le personnel sur place qu’il était inutile de faire monter les deux trains jusqu’à Superbagnères et donc d’en renvoyer un directement à Luchon.

Aiguillage amont de l’évitement de Mi-Sahage On voit la complexité de l’appareil de voie
mars 1954

Vingt minutes plus tard arrive à Mi-Sahage le premier des trois trains descendant de Superbagnères.
Il est aiguillé sur la voie de garage afin de laisser les deux trains montant s’arrêter sur la voie principale.
En arrivant le serre frein du deuxième train montant manœuvre l’aiguille pour laisser sortir le premier train
de la voie de garage. Mais peu de temps après, un des saisonnier manœuvre à nouveau cette même aiguille sans savoir qu’elle l’avait déjà été un peu plus tôt. Il fait la grave erreur de ne pas vérifier son opération.
Le premier train tracté par la machine n°4 s’élance,

Aiguillage aval de l’évitement de Mi-Sahage.
Celui sur lequel a déraillé le train.
Collection LEYMARIE | mars 1954

quand il arrive au niveau de l’aiguille, des « craquements inhabituels » se font entendre par les passagers.
Des témoins disent avoir vu la machine tanguer une fois sur sa droite puis sur sa gauche, ce qui correspond sans aucun doute au moment où les deux roues dentées sortent de la crémaillère.
Lorsque le tracteur est passé sur l’aiguille, sa position a été modifiée de force, on dit qu’il a « talonné l’aiguille » ainsi les deux voitures s’engagent sur la voie principale sans dérailler. La rame s’élance alors dans la pente à 25% vers le virage de la Soulan.

Voie détruite entre Mi-Sahage et la Soulan. Ayant permis le déraillement des deux voitures.
Collection LEYMARIE | mars 1954

Quelque quinzaines de mètres en aval de l’aiguille se trouve un des sectionneurs de la ligne de contact.
Un des archets de la locomotive se coince à l’intérieur et vient à être mis en contact avec le second ce qui crée un court circuit et par conséquent un arc électrique gigantesque vu, parait-il, depuis Luchon.

La mise en contact des deux phases aériennes fait disjoncter la ligne et le troisième train descendant se retrouve arrêtée sur le viaduc du Mailh Trincat.

Précédé par le tracteur, le convoi poursuit sa course à la vitesse de 80 km/h au lieu de ses 8km/h habituel.

Dans l’affolement, certains passagers sautent par les fenêtres. Ils perdent malheureusement la vie en heurtant la paroi rocheuse, les poteaux ou le mur de soutènement qui borde la voie.

Voie détruite au virage de la Soulan.
mars 1954

 C’est dans ces conditions que cinq skieurs trouvent une mort horrible. Un plus chanceux que les autres sera retrouvé gravement blessé gisant contre une souche.

Heureusement pour les passagers, le tracteur n’était pas attelé au reste de la rame comme l’indiquait les consignes de sécurité.

A un léger virage que décrit la voie, les deux voitures déraillent à cause de la vitesse trop élevée et de la rupture d’un essieu de la première voiture.
Elles s’arrêteront quelques mètres plus bas.

Les deux mécaniciens ont quant à eux beaucoup moins de chance. En arrivant à la Soulan, le tracteur sectionne la voie, sort du ballast et plonge dans le ravin de Bagnartigue emportant avec lui les deux héroïques mécaniciens.

Voitures arrêtées entre Mi-Sahage et la Soulan
mars 1954

Les agents de la CHM descendent immédiatement dans le ravin pour secourir les mécaniciens mais ils tombent sur une scène terrifiante. Le tracteur dont la caisse est en bois est littéralement pulvérisé.

Aucun train de secours ne peut monter sur les lieux car tous les trains sont en amont de l’accident et la voie était inutilisable car sectionnée au virage de la Soulan.

C’est grâce grâce au funiculaire de service de la centrale EdF du lac d’Oô que pourront être descendu les passagers, leurs skis et leurs bagages.

Voitures déraillées entre Mi-Sahage et la Soulan.
Début du dégagement.
1er mars 1954

Ce tragique accident a fait en tout neuf morts :
Les deux mécaniciens : Louis Caillau & M. René Viel ;

Six passagers:
Ernest Bombail (20 ans), Louis Delpy (17 ans),
Georges Deromédi (22 ans), Jean Latour (17 ans),
Jacques Sacave (35 ans) & Jean Serre (30 ans).

Ainsi qu’une jeune fille Anne Lemoîne, âgée de 7 ans, fille de M. Jacques Lemoîne fondateur et rédacteur en chef de Sud-Ouest gravement blessée en faisant de la luge qui n’a pu être redescendue sur Luchon pour être soignée.

Voitures arrêtées entre Mi-Sahage et la Soulan
Le ferraillage a commencé.
Collection LEYMARIE | 1er mars 1954

Monsieur Martineau a généreusement ouvert sa maison située à l’intérieur du virage de la Soulan pour effectuer les soins d’urgence qu’il fera lui même.

Pour les besoins de l’enquête, on remonta les disques et les mâchoires de frein de la machine. Ils étaient dans un état d’usure exceptionnel, montrant que les deux mécaniciens ont lutté jusqu’au dernier instant pour tenter d’arrêter leur train.

Les voitures quant à elles n’ont quasiment subit aucuns dommages contrairement à ce que pourrait laisser

Restes du tracteur n°4 au fond du ravin de Bagnartigues.
On distingue le châssis et les moteurs.
Collection LEYMARIE | 1er mars 1954

paraitre des photographies prises quelques jours après la catastrophe où les voitures sont éventrées avec les portes arrachées.

Il est important de préciser que ces dommages ne sont pas dus à la violence de l’accident mais ils sont l’œuvre des ouvriers de la CHM qui les ont ferraillés sur place pour ne pas avoir à les redescendre.

Ce fût le seul et unique accident en 54 années d’existence et qu’il n’a en rien précipité la fermeture qui a eu lieu plus de 15 ans après la catastrophe.
Restes du tracteur n°4 au fond du ravin de Bagnartigues.
On voit ici l’appareillage électrique de la machine.
1er mars 1954

Film de la British Pathé
au lendemain de l'accident

Cet article a été rédigé d’après
le récit de Manuel Abentin
dit «Manoulet »

Figure locale &
ancien employé de la CHM